Le vrai du faux : Quotas de diffusion d’artistes en FWB – RTBF

AVANT-PROPOS

La crise sanitaire du Covid-19 a ouvert les esprits, mobilisé et conscientisé tous les secteurs de la musique. Paradoxalement, alors que nous sommes privés de public, on semble soudain redécouvrir l’importance des artistes « locaux·ales »¹. Les radios et les télévisions elles-mêmes sont obligées de reconsidérer leurs objectifs, leur fonctionnement et leurs priorités car sans événements internationaux, elles ont dû se pencher sur les productions et artistes belges. Cette contrainte a donné lieu à une hausse de la visibilité d’artistes belges locaux·ales en dehors des artistes ayant déjà une renommée nationale ou internationale.

FACIR mène ce combat de longue durée dans des conditions complexes. En tant que fédérations ou organisations dans le secteur musical, il est très difficile et peu lisible d’avoir des chiffres clairs et précis sur ce qui est diffusé en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Toutefois, la RTBF est un service public belge², c’est-à-dire, qu’elle exerce ses activités sous la direction de l’État avec pour seul objectif : satisfaire un besoin d’intérêt général. L’État fixe les missions et les prérogatives de la RTBF grâce à un contrat de gestion édité tous les 5 ans. C’est ce seul contrat de gestion qui va donner un cadre à la RTBF et régir sa prise d’initiative et son autonomie. Ce sont donc les représentants parlementaires des différentes forces politiques qui, en négociations avec la RTBF, apportent des modifications pour chaque nouveaux contrat de gestion. Ce détail est bien trop souvent oublié, pourtant il permet de légitimer les actions des politiques, leur apportant le libre droit de légiférer ou réformer ce contrat de gestion. Cette dimension est à prendre à considération car c’est ce qui garantit le respect et l’application d’une information pluraliste, indépendante,d’une démocratie et d’une diversité culturelle. 

Pour conclure cette mise en contexte, il est important de souligner que FACIR n’a pas de couleur politique, et ne se prête à aucun jeu politique. Elle défend ses revendications de façon indépendante et autonome et entre en discussion avec tous les partis politiques sans distinction. Du PTB au MR, en passant par des mandataires de DEFI, ECOLO, PS et CDH, FACIR cherche des appuis compétents en la matière des quotas pour porter ses revendications par plusieurs partis. Un moyen sûr de traduire cette volonté transversale en une véritable proposition de loi.

Dans certains pays, l’instauration de quotas a en effet favorisé la surreprésentation des productions commerciales³, déjà majoritaires sur le marché de la musique. Une solution facile pour les programmateurs qui disent remplir le contrat en augmentant la visibilité d’artistes locaux·ales. Pourtant, ils vont favoriser des artistes locaux·ales déjà bien connu·es de la scène nationale voire internationale. Cet effet pervers peut être évité grâce à la mise en place de quotas qualitatifs. Sans lesquels l’instauration d’une simple augmentation des quotas d’artistes en FWB n’aura aucun sens car elle permettra aux programmateurs d’user de la faille : donner plus de visibilité à des artistes de la FWB qui en ont déjà énormément. Ces quotas qualificatifs concernent à la fois les 25% d’artistes/productions de la FWB, mais aussi 75% d’autres artistes/productions.

Sur la base de ce constat, FACIR souhaite établir une série de quotas qualitatifs en plus d’augmenter à 25% les quotas de diffusion d’œuvres d’artistes en FWB : 

  • Une proportion minimale de 30% d’artistes hors du top 100
  • Une proportion minimale de 30% d’artistes dont le premier album est sorti depuis moins de 24 mois 
  • Une proportion minimale de 30% de titres ayant moins de 2 ans
  • Une proportion minimale de 40% d’artistes féminines ou groupes dont la majorité des membres ou la leadeuse est une femme

On retrouve chez les détracteurs des quotas une idée récurrente : les quotas seraient une forme d’imposition supplémentaire, contraignante et compliquée à établir pour les programmateurs. Pourtant, la réalité de l’industrie musicale d’aujourd’hui est telle qu’elle est régie par les trois majors, WARNER, SONY et UNIVERSAL qui produisent 70% de la musique mondiale enregistrée en radio (SNEP, 2020). De plus, le modèle économique des radios est orienté, pour une grande partie, par des annonceurs et par une segmentation du marché radiophonique. D’ailleurs les programmateurs sont aussi sous la contrainte des directeurs de chaines.

Alors on peut se dire qu’augmenter les quotas et ajouter à cela des quotas qualitatifs permettrait à l’inverse une plus grande liberté éditoriale pour les radios. Tout simplement, avec l’obligation d’avoir une proportion minimale de 30% d’artistes hors du top 100, une radio aura son carnet musical agrandi et non plus asservi par des logiques commerciales et de rentabilité. Les quotas ouvrent à plus de possibilités musicales et de liberté de programmations.

Un argument avancé régulièrement par les détracteurs des quotas est qu’il n’y aurait pas en FWB suffisamment d’artistes et de productions de qualité. Cela risquerait donc de dégrader la qualité et l’audience du service public. Pourtant notre communication personnelle avec la RTBF prouve l’inverse. D’après nos contacts, le pourcentage d’œuvres de la FWB programmées sur leurs chaînes, depuis le confinement à aujourd’hui , dépasserait déjà les 20% ! 

FACIR constate que depuis le premier confinement, il y a un regain d’intérêt général pour la consommation locale (musique, nourriture, vêtements…). Ce mouvement social a été guidé par des initiatives comme la page ‘Soutien aux artistes belges et labels indépendants’, l’interpellation des radios et l’augmentation de cartes blanche. Cela a permis de redécouvrir et mettre en avant les artistes d’ici. La RTBF, à notre grande surprise, a suivi cette mouvance avec une certaine facilité en pêchant dans leur répertoire local. FACIR s’étonne alors de rencontrer encore de la réticence à une meilleure représentation des artistes de la FWB sur nos radios. Est-ce impossible, parce qu’on ne sait pas le faire, ou est-ce inutile, parce qu’on l’a déjà fait ? 

L’intérêt de réguler, par une loi, la représentation des artistes de la FWB sur nos radios, c’est d’acter et de pérenniser les rares bienfaits de la pandémie. Un cadre juridique permet d’encourager plus de visibilité d’une faune musicale déjà existante en FWB. À surtout ne pas confondre avec les nouvelles productions d’artistes et de découvertes musicales. L’amalgame est souvent fait entre diversité et nouveauté. FACIR insiste, en matière de production, qu’il y a assez de demandes pour répondre à cette volonté d’augmenter la présence d’artistes de la FWB sur nos ondes.

Les quotas de diffusion d’œuvres d’artistes de la FWB sont aujourd’hui fixés à 12%. FACIR demande de doubler ce quota à 25% en favorisant la diversité et les œuvres musicales émergentes. La complexité trouvée dans un quota à 25% sera exactement la même que dans un quota à 12%. Alors, il faut déjà continuer à utiliser les outils que la RTBF et le CSA utilise pour prouver ou déterminer si ces quotas sont atteints et développer d’autres outils pour le garantir : 

  • une bourse d’oeuvres éligibles qui reprendra l’ensemble des oeuvres “labellisées” à Bruxelles et en Wallonie en y ajoutant toutes les sous-divisions catégorielles que l’on jugera utiles; 
  • des partenariats avec la SABAM ou Playright pour récolter, rassembler et regrouper les informations des artistes de la FWB dans une base de données; 
  • la construction d’une base de données à l’aide de métadonnées : derrière chaque morceau, il y a le titre et l’artiste mais aussi un certain nombre de paramètres en lien avec les critères des quotas qualitatifs. Exactement de la même manière qu’ ’Ultratop’ va répertorier les tops 100, tops 200 des albums, single ou artistes à succès belges, wallon·es ou flamand·es.

À l’heure de l’informatique, fabriquer un tel système d’encodage, accessible pour toutes les radios et tous les programmateurs, est une affaire de quelques mois de récolte d’informations pour une utilisation durable et quasi autonome. Avec la volonté politique, il serait possible d’allouer un budget pour inciter la SABAM ou Playright à mettre en place cet outil, ce serait l’unique coût lié à la mise en place des quotas.

Artistes belges ou artistes de la FWB, qui cela représente ? La FWB s’étend sur le territoire de la Région Bruxelles-Capitale et en Wallonie. Elle inclut aussi une petite partie de la Flandre de par la présence de Bruxelles. 

D’après le contrat de gestion, un·e artiste est ‘labellisé·e’ en FWB selon si « le domicile ou la résidence, le siège social, la succursale ou l’agence permanente est situé en région de langue française ou en région bilingue de Bruxelles-Capitale » (contrat de gestion p.5, 2019). Il suffit d’être domicilié à Bruxelles pour faire partie du quota de diffusion des œuvres de la FWB . Les producteurs flamands et leurs artistes font donc déjà partie de ces quotas car pour d’évidentes raisons de subsides et de logique de marchés, tous les gros producteurs flamands possèdent un siège social à Bruxelles. Cette ville bilingue est une fenêtre ouverte sur les deux communautés.

Le contrat de gestion, qui régit les règles de quotas à la RTBF, est édité tous les 5 ans. Pour FACIR et le secteur musical, le sujet des quotas est central ! Le secteur, de façon unanime, souhaite voir des changements et est ouvert à ce que ces changements se fassent le plus vite possible. La loi permet d’ailleurs de faire ces modifications au contrat de gestion en cours de route. Ce qui reste primordial pour FACIR c’est déjà d’interpeller les politiques sur ce sujet  même en attendant 2023 car les discussions pour ce nouveau contrat de gestion vont bientôt débuter. Nous voulons participer, être impliqué·es dans le processus et apporter d’autres orientations jugées indispensables pour garantir une diversité musicale et une mise en avant des artistes et créateur·rices de la FWB.

CONCLUSION – POUR VOIR PLUS LOIN

Depuis sa création, FACIR se bat pour un quota de diffusion d’œuvres d’artistes de la FWB à 25%. Derrière cette question des quotas se cachent des enjeux bien plus grands de diversité, d’audace dans la programmation musicale et de valorisation d’artistes de la FWB. Mettre en place des quotas est déjà un début nécessaire à cela mais insuffisant, FACIR propose de considérer également d’autres mesures pour le prochain contrat de gestion :

  • Une transparence des chiffres de diffusion de la RTBF, par chaîne, selon les quotas et dans un format standard;
  • Une plateforme de concertation régulière entre la RTBF et le secteur musical, les dispositifs actuels étant absolument inefficaces. Inciter les synergies et les tables de réflexions (article 51, contrat de gestion p.62);
  • De nouveaux barèmes et directives concernant le contenu éditorial mettant en avant les artistes et créateurs de la FWB. Les contraintes du contrat actuel sont en retard par rapport à la réalité, il s’agit de pérenniser les acquis liés aux confinements, et d’aller plus loin pour développer le côté service public de la RTBF. Les secteurs musical et artistique veut être une partie prenante dans l’élaboration du nouveau contrat de gestion en 2023.

L’équipe de FACIR et le groupe d’action ‘diversité et quotas’.

¹ Local, qui concerne un lieu, une région, lui est particulier.

² Un service public est une activité exercée directement par l’autorité publique ou sous son contrôle, dans le but de satisfaire un besoin d’intérêt général.

³ Les ‘Ultratops’, ce sont des listes régulièrement mises à jour qui répertorient les albums, singles et artistes à succès du moment. Ces ‘ultratops’ sont accessibles sous forme d’une inscription gratuite et d’un document Excel reçu par mail chaque vendredi qui actualise les données. Ces listes sont constituées grâce à des monitorings auprès de labels et de maisons de disques notamment. Dans ces listes, on peut ainsi sélectionner parmi les tops 100 ou 200 quel·les albums, artistes ou singles sont homologué·es belges, flamand·es ou wallon·es.

La diversité est l’état, le caractère de ce qui est divers, varié, différent. La diversité culturelle est le constat de l’existence de différentes cultures au sein d’une même population. Elle englobe la diversité linguistique. Sa défense est mise en avant comme moyen de lutter contre le processus d’uniformisation culturelle. »C’est la diversité, et non l’efficacité, qui est la condition sine qua non d’une vie humaine riche et créatrice. » René Dubos – Les dieux de l’écologie, 1973

⁵ Une métadonnée est une donnée servant à définir ou décrire une autre donnée quel que soit son support. Il s’agit de l’information qui permet de retrouver les données stockées. Par exemple, les métadonnées les plus courantes sont la date de sauvegarde, la taille et l’auteur du fichier… toute information permettant d’identifier et localiser les données voulues à un moment donné (que ce soit un document, un fichier audio, une image, en principe tout type d’information stockée). Le rôle des métadonnées est de permettre des actions efficaces sur les informations en leur fournissant un contexte.

⁶ Le contrat de gestion a été modifié par le gouvernement de la FWB, en juillet 2020, pour réduire la présence de la publicité sur les radios de la RTBF https://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-publicite-va-diminuer-progressivement-a-la-rtbf?id=10535014